LOSC
Marc-Antoine Fortuné : « Claude Puel voulait me garder »

Marc-Antoine Fortuné, qui a fait ses débuts professionnels avec le LOSC en 2002, nous a accordé un entretien exclusif. L’attaquant de 39 ans, qui joue toujours par passion (à La Louvière, en Belgique), nous offre un regard franc sur son parcours, et nous parle de sa reconversion dans l’Art.
Un passage par Lille… prématuré ?
Bonjour, Marc-Antoine. Quel chemin vous amène à votre premier contrat pro au LOSC ?
Je suis arrivé de Guyane en 1998. J’ai débuté à 17 ans à Angoulême où j’ai évolué en CFA, puis en National. Après une belle saison en Charente, où je marquais souvent (cinquième de National en 2002 NDLR), des clubs de Ligue 1 me sollicitent. C’est le cas du FC Nantes et de Lille notamment. Avec mon agent, nous avons toujours eu un plan de carrière assez précis. Ainsi, en accédant à la Ligue 1, je voulais tout de même avoir du temps de jeu, pour prouver ma valeur. Sur cet aspect, le « feeling » l’a emporté avec Lille. Il y avait pas mal de jeunes joueurs au LOSC, donc je me suis laissé convaincre.
Suite au départ de Vahid Halilhodžić, vous arrivez dans une équipe en reconstruction. Mais la concurrence reste rude en attaque pour un jeune joueur. Manchev, Sterjovski, Tapia et Moussilou sont également dans l’effectif.
On va dire que j’étais surtout en concurrence avec Matt Moussilou, puisque nous avions un peu le même profil et que nous débutions tous les deux en professionnel. Je fais une bonne préparation estivale, où je pense être devant Matt dans l’esprit du coach. A l’entrainement je faisais le nécessaire pour obtenir une chance, et Claude Puel m’a alors fait jouer quelques matchs. Je pense qu’il m’a surtout manqué un but, lors de ces premières entrées en jeu. Si j’avais su être décisif plus rapidement, ça aurait pu débloquer la situation…
Pour votre première saison en L1, Claude Puel vous fait tout de même entrer à 16 reprises en championnat, vous disputez une partie de la finale en Coupe Intertoto. Et vous êtes aussi titulaire lors d’une victoire contre Lyon (2-1 le 23 novembre 2002)
C’était ma première expérience au sein de l’élite, je découvrais le monde pro, et ses exigences… Mais en tant que perfectionniste, et je ne pouvais pas me satisfaire de cette quinzaine de matchs. Je n’étais pas venu pour ça…
C’est vous (ou le club), qui demandez à partir en prêt, du coté de Rouen (en L2) ?
En 2002-2003, j’ai fait plus de matchs avec la réserve (en CFA)
qu’avec l’équipe première. La marche était-elle trop haute entre le
National et la Ligue 1 ? Je ne sais pas.
Toujours est-il que j’ai accepté de « reculer pour mieux
sauter », en rejoignant Rouen. Et c’était le bon choix.
Auteur d’une saison pleine en Normandie, 10 buts en 35 matchs, vous n’êtes pas conservé par le LOSC à votre retour de prêt. Pourquoi ?
J’avais signé trois ans à Lille, donc quand je reviens de Rouen,
on fait le point sur l’année qu’il me reste. Il y a une discussion
avec Claude Puel. Lui voulait me garder, mais je savais que je ne
partais pas titulaire en 2004-2005. J’ai donc insisté pour rester
en Ligue 2.
Il fallait que je pense avant tout à ma carrière. En plus, je
connaissais le directeur sportif de Brest (Philippe Goursat), je
pouvais compter sur sa confiance. Je quitte donc définitivement
Lille, pour signer en Bretagne.
Une progression linéaire, jusqu’au rêve de Premier League
Une nouvelle saison à 10 buts en L2 vous ouvre les portes de l’Eredivisie (D1 hollandaise), puisque vous signez à Utrecht en 2005.
Avec Utrecht ça s’est fait très vite. Ils s’étaient manifestés dès la mi-saison. Ce type de club collait avec mon fameux « plan de carrière », qui me permettait de monter crescendo. Je n’avais pas peur de partir à l’étranger, et la proposition sportive me plaisait. J’avais l’intuition que j’allais progresser face à des cylindrées renommées comme l’Ajax, le PSV Eindhoven…
Après dix-huit mois prometteurs au Pays-Bas, vous revenez en France en janvier 2017, à Nancy. Vous avez bientôt 25 ans, la carrière est définitivement lancée ?
Comme pressenti, j’ai énormément progressé aux Pays-Bas. Au-delà
du championnat de bon niveau, j’ai été marqué par la qualité des
équipes rencontrées lors des préparations estivales. On jouait
contre des équipes Italiennes, des clubs de Premier League comme
Arsenal… même si cela reste des amicaux, ça apporte beaucoup aux
jeunes joueurs. J’ai beaucoup observé, et ça m’a peut-être donné
envie, pour la suite…
Mes prestations en Eredivisie ont été remarquées. J’ai eu des
offres de l’Ajax et du Feyenoord pour rester en Hollande. Utrech
aussi m’a fait une proposition de prolongation. Mais c’est Nancy
qui s’est montré le plus intéressé. Au fond de moi, j’avais cette
revanche à prendre sur la Ligue 1.
Il faut savoir qu’en Guyane, il y a deux championnats très suivis : le championnat brésilien, et le championnat de France. A 25 ans, je voulais prouver que cette fois j’étais prêt. Pablo Correa, le coach de l’ASNL a achevé de me convaincre. Le club venait de remporter la Coupe de la Ligue et avait des ambitions.
En 2007-2008, l’ASNL obtient le meilleur classement de son histoire dans l’élite en terminant quatrième. Vous y contribuez par 6 buts et 5 passes décisives.
Peu de gens s’en souviennent, mais Nancy a longtemps joué le titre cette année-là. On était sur le podium une bonne partie de la saison, et on rate de peu la Champions League (troisième à l’entame de la dernière journée, avec un point d’avance sur l’OM, Nancy perd son seul match de la saison à domicile contre Rennes, et voit Marseille lui passer devant sur le fil, NDLR).
Cette quatrième place historique vous permet tout de même de disputer l’Europa League. Lors de la phase de groupe, vous marquez un but en Ecosse, sur le terrain de Motherwell. Est-ce match qui a attiré l’intérêt du Celtic Glasgow ?
Oui exactement. Le coach actuel du Celtic (Neil Lennon), m’a confirmé par la suite, que c’est ce match à Motherwell, ou j’avais pourtant joué à un poste inhabituel de milieu droit, qui avait attiré l’attention du club écossais… C’est clair que lors des matchs européens, il y a encore plus de scouts qu’à l’accoutumé.
Avant d’approfondir votre passage au Celtic, parlons un peu de la Premier League…
West-Bromwich qui vous a déjà accueilli 6 mois en 2008, vous récupère définitivement à l’été 2010. C’est finalement dans ce club que vous allez disputer le plus de rencontre en carrière (89 matchs). Evoluer en Premier League, est-ce l’aboutissement d’un rêve ?
Dans notre plan, il y avait des étapes. Une fois en Ligue 1,
l’outre-manche ça attire l’œil forcément. Mais je pense que j’ai su
rester patient. Quand j’ai vu qu’à Lille, je ne jouais pas trop, je
n’ai pas hésité à faire deux saisons supplémentaires en L2, ne pas
bruler les étapes c’est important. C’est ce qui manque parfois aux
jeunes, promis à une belle carrière.
Bon… j’avoue qu’à partir de 2008, jouer en Angleterre me faisait
vraiment envie, mon agent ne me trouvait pas encore prêt, et
tentait de me calmer, mais je n’ai pas hésité quand WBA m’a proposé
ce premier prêt de 6 mois. Un lien s’est créé en peu de temps,
et j’avais même été élu meilleur joueur de la saison par les
supporters… en ayant fait que la phase retour. Cette relation de
confiance a accéléré ma signature en 2010, après un court passage
en Ecosse.
A WBA, vous croisez un attaquant bien connu à Lille, en la personne de Peter Odemwingie. Comment s’est passé votre cohabitation en attaque (38 fois coéquipiers) ?
On s’entendait bien. Peter est un joueur facile à vivre, qui a
toujours le sourire en arrivant dans le vestiaire. Au début, nous
étions alignés ensemble, dans un 4-4-2. Mais à l’arrivée de Di
Matteo, le coach jouait avec un seul attaquant, et il faut avouer
que Peter jouait un peu plus que moi.
Puis nous avons de nouveau été associé, quand Roy Hodgson est
arrivé. Ça reste de bons souvenirs.
Vous disputez une vingtaine de matchs lors de chacune de vos trois saisons en Premier League avec WBA (2010-2013). Puis rejoignez ensuite Wigan, qui évolue en Championship.
J’étais triste de ne pas rester un an de plus à WBA, mais le
projet de Wigan m’a plu. Certes le club descendait de Premier
League, mais venait de remporter la FA Cup, et m’offrez donc la
possibilité de retrouver l’Europa Le ague, découverte à
Nancy. Et puis, le Championship, n’a rien à envier à certains
championnats d’élite européen, chaque week-end, ce sont des stades
de 20.000 spectateurs en moyenne qui sont pleins. Ces dernières
saisons, on peut régulièrement y observer des transferts à plus de
10M€…
La première saison à Wigan, on loupe la montée en play-off. Et nous
défendons le titre acquis en Cup par une nouvelle épopée jusqu’en
demi-finale…
Joueur du mythique Celtic Glasgow
Comme évoqué plus haut. Après un prêt de 6 mois à West-Bromwich, le Celtic met 4M€ sur la table pour vous recruter (en juillet 2009). Un investissement important pour le club Ecossais.
A l’époque, je ne me suis pas spécialement attaché au montant de l’indemnité, qui concerne surtout les clubs. Moi, je voyais surtout le coté passion. J’étais content et fier de signer dans un club mythique, ancien vainqueur de la Champions League… Pour l’anecdote, avant ma présentation à la presse, j’ai dû choisir un numéro de maillot. Le N°28, qui m’avait plutôt réussi jusqu’ici était libre, donc j’ai voulu le récupérer. Mais un dirigeant ne m’a pas vraiment laissé le choix, en affirmant « un transfert à 4M€, ça prend le 10 ! ». Je me suis donc retrouvé à porter le N°10 du Celtic.
En Écosse, vous êtes impliqué sur 23 buts en 45 matchs (12 buts, 11 passes). Quel souvenir gardez-vous de votre passage au Celtic Park ?
C’est assez ambivalent. D’un côté jouer un week-end sur deux dans un stade comble de 60.000 places c’est grisant. Mais le samedi suivant, tu peux jouer face à moins de 5.000 personnes. Certaines équipes ont un niveau qui doit se situer entre N1 et L2 en France. Le championnat est vraiment à deux vitesses, avec les deux géants de Glasgow, et les autres. Je l’ai accepté pendant un an, mais du point de vue de la motivation, je pense qu’il faut être Ecossais pour conserver la passion et faire toute sa carrière sur place.
Lors de votre passage, les Rangers terminent champion. Jouer le derby Celtic contre Rangers (appelé Old Firm), c’est quelque chose non ?
Dans les rues de Glasgow, on te respecte, mais on sait te rappeler que tu joues pour le Celtic. Dès mon arrivée, on me disait que pour que les supporters se souviennent d’un joueur, il fallait qu’il marque dans le Old Firm, que les autres matchs ne comptaient pas. Les jours de derby, la ville entière, voire même certaines familles sont coupées en deux. La pression est énorme. Personnellement j’ai eu la chance de marquer face au Rangers, à Celtic Park. En plus, nous remportons ce match. Ce fut une sensation indescriptible.
Scott Brown, qui a joué à l’aller face au LOSC cette saison, jouait déjà au Celtic lors de votre passage. Il approche désormais les 600 rencontres avec le club écossais. C’est une légende vivante ?
Comme je le dis plus haut, il faut surement être Écossais, pour faire toute sa carrière là-bas. Quand il est arrivé des Hibernians de Edimbourg, « Scotty » n’a jamais caché son amour pour le Celtic. Pour lui, c’était un rêve de gamin de défendre le maillot du club. Une fois qu’il touche son rêve, il ne le lâche plus, c’est normal. Il a sa famille à proximité, ils sont fiers de lui… et il est en train de devenir une légende du club.
Vous avez aussi croisé l’international irlandais, Robbie
Keane (16 buts en 19 matchs en 2010). Quand on connait le lien du
Celtic avec l’Irlande… il a dû être apprécié
aussi ?
C’est clair, Robbie a été accueilli comme une rock star. Il nous a
bien aidé par son expérience et ses nombreux buts. Mais
malheureusement nous n’avons pas réussi à rattraper les
Rangers.
Fin de carrière professionnelle
Après vos saisons en Premier League, puis à Wigan, vous restez en Angleterre, en enchainant plusieurs contrats dans des ligues inférieures. Coventry City (2015-16), Southend United (2016-18), Chesterfield FC (2018-19). Quel est l’engouement sur place pour ces clubs de D3 ou D4 ?
En Angleterre, jusqu’en D5 certains clubs sont professionnels. A Coventry, en League One (D3), j’avais encore l’opportunité de jouer devant 7 à 10.000 personnes. Tony Mowbray que j’avais connu lors de mon premier passage à WBA, puis au Celtic, était entraineur, et nous visions une montée en D2. A 35 ans, cela me permettait d’allonger un peu ma carrière, tout en conservant le côté « passion ». L’engouement envers la League One était plus stimulant que si j’étais revenu dans les divisions inférieures en France.
Au final ma carrière professionnelle aura duré près de vingt ans. Je suis très content de mon parcours. Pour la petite histoire, j’ai d’ailleurs croisé par hasard Claude Puel sur les Champs Élysées, il y a quelques mois. Nous avons discuté quelques minutes et il m’a félicité pour mon parcours. En me disant que si je n’avais pas forcément eu ma chance à Lille, il avait suivi ma progression et m’avait vu accéder au Celtic, ou à la Premier League. Cette marque de reconnaissance, ça fait plaisir.
Que faites-vous depuis la fin de votre carrière sportive ?
Après avoir rejoint la Belgique, d’où est originaire ma compagne. J’ai fondé le collectif B/\LL x /\RT. En dehors du football, je suis aussi passionné d’art, et l’objectif de cette structure est d’associer ces deux piliers culturels pour en faire des vecteurs de messages.
C’est en Angleterre que j’ai commencé à m’intéresser sérieusement à l’art, à aller au musée… A Southend, j’ai réussi à monter un atelier avec mes coéquipiers, où nous avons tous contribué à la création d’une œuvre. Avec Ballxart, je veux tenter de combler le fossé entre le football et l’art. Les clichés existent, les gens pensent que les footballeurs ne rêvent que d’argent, de grosses voitures et de la célébrité… Qu’aucun ne pourrait être un collectionneur d’art ou un artiste ?
Olivier Giroud ou Kemar Roofe (Glasgow Rangers) ont déjà rejoint mon initiative. Je rêve de footballeurs qui discuteraient d’un tableau, d’une sculpture, d’une exposition de photographies… Pour cela, il faut pouvoir comprendre l’art, le décrypter…
Cet été vous avez repris une licence, à 39 ans, du côté de La Louvière (D3 belge). Difficile de raccrocher les crampons ?
Oui, encore une fois la passion a pris le dessus. Je pense que je ne m’arrêterai jamais. Même à 45 ans, j’aurai ma licence en vétéran. C’est difficile de couper complétement avec certaines habitudes que tu as eu pendant 20 années de ta vie. Mais je veux désormais être reconnu comme fédérARTeur, moins comme footballeur !
Grand merci, Marc-Antoine.
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